Compte-rendu du livre de Joseph Pousset, Engrais verts et fertilité des sols.
Un gros bouquin assez technique. J’ai beaucoup aimé les 100 premières pages, qui traitent surtout d’agronomie à la fois générale et appliquée aux engrais verts. Par la suite, il y a quelques répétitions et ça devient un peu plus destiné aux productions sur grande culture, j’ai donc lu en sautant quelques pages. Je passe aussi sur les détails concernant toutes les variétés d’engrais vert, mais je m’y référerai à l’avenir. Globalement, très bon bouquin, très dense, riche en pistes et en idées. Ci-dessous, quelques notes.
Rappels sur la composition (approximative) des plantes.
- Eau : 80 %
- Matière sèche : 20 %, dont 18 % de carbone, oxygène, hydrogène, qui sont « gratuits », et 2 % d’azote, phosphore et autre nutriments en partie « gratuits » car naturellement présents.
L’idée, c’est que l’immense majorité de ce dont à besoin la plante est naturellement présent dans son environnement, et que la petite partie fournie par les amendements et engrais pourrait l’être également.
- L’eau étant elle aussi composée d’hydrogène et d’oxygène, le trio hydrogène, oxygène et carbone représente 98 % du poids de la plante.
- Viennent ensuite les éléments majeurs (azote, phosphore, calcium, potassium, souffre, magnésium) qui représentent 1,88 % du poids de la plante verte.
- Puis les éléments mineurs (chlore, sodium, silicium, fer, etc.) qui occupent 0,12 % du poids de la plante verte. Dans des terres équilibrées et fertiles, ils peuvent être fournis naturellement par le sol.
Des fixations d’azote moins connues
On connait la fixation d’azote symbiotique (via les légumineuses notamment) mais il y a aussi une fixation d’azote non symbiotique, beaucoup moins connue. Elle est le fait de micro-organismes libres comme les azotobacter qui vivent dans les couches très aérées du sol ou les clostridium, qui vivent dans des couches moins aérées. Ces fixateurs libres, non liés à des plantes, ont besoin de nourriture sous forme de matière organique. Il existe donc une fixation d »azote naturelle à la surface du sol, qui pourrait expliquer pourquoi la si redoutée « faim d’azote » n’est pas nécessairement présente dans le cas d’un mulch très carboné laissé en surface sur une terre vivante.
L’auteur mentionne aussi « la fixation de l’azote de l’air par la cellulose » : en gros, les feuilles des arbres « fixerait » de l’azote capté dans l’air qui serait ensuite lessivé par les pluies et irait donc au sol. J’ai trouvé cette information aussi intéressante qu’étonnante, et en essayant d’en apprendre plus, j’ai eu du mal à trouver d’autres sources. Il me semble que le terme « dépôt atmosphérique » est plus employé, notamment le « dépôt sec » (opposé au « dépôt humide » qui arrive via la pluie), permis par la large surface offerte par les feuilles, les caractéristiques de la cellulose, et les bactéries qui vivent sur ces feuilles.
Les produits transitoires
Les produits transitoires sont le résultat de la décomposition de tous les produits organiques laissés en surface, mais aussi de la décomposition des organismes vivants qui se nourrissent de la matière organique, notamment les bactéries. Ils sont une forme transitoire entre les matières organiques fraiches et l’humus : ils subsistent peu de temps. Tous ces composés représentent une masse importante et variée d’éléments nutritifs pour les plantes. S’ils sont libérés quand le sol est nu, ils risquent d’être perdus par lixiviation ou « évaporation ».
Dans un sol sans produits transitoires, les plantes doivent trouver leur nutrition dans le stock du sol. Il se trouve que la libération des produits transitoire cause, et est causée par, la vie du sol. Ils comportent aussi des substances particulières (hormones, vitamines) qui sont utiles aux plantes et peu trouvables ailleurs. On comprend dont l’intérêt de maintenir un stock permanent de produits transitoires, notamment sous forme de paillage permanent et équilibré.
L’humification, la création de l’humus, est une véritable construction de molécules nouvelles et de plus en plus complexes. C’est un phénomène de polymérisation, de formation de grosses molécules par assemblage de plus petites. La formation de l’humus est plus ou moins facile en fonction de la teneur du terrain en argile. Les composés humiques sont moins polymérisés et moins stables en milieu sableux.
Les capacités des racines
La colossale masse de racines des plantes, en particulier des arbres, a un fort rôle drainant. Et dans le cadre des engrais verts : la racine peut jouer le rôle d’accumulateur de réserves nutritives. Plus encore, elle modifie son environnement : c’est la rhizosphère. Les racines diffusent ainsi dans le sol des exsudats racinaires, composés d’une grande variété de glucides, d’acides organiques, de protéines, d’enzymes, etc. Les racines les plus jeunes seraient plus actives sur ce plan que les plus âgées.
La plante, en modulant ses exsudats racinaires, peut dans une certaine mesure contrôler la composition de la rhizosphère pour la faire tendre vers ses propres besoins. Par exemple, les spores des champignons mycorhiziens germent au contact des racines, quand les conditions adéquates pour eux sont réunies… par la présence et l’action des racines.
Les caractères allélopathiques d’une plante donnent une idée de ses relations avec les autres végétaux, relations probablement déterminées en partie exsudats racinaires. Ces caractères sont extrêmement complexes et encore très mal connus. Par exemple, la folle avoine a un fort effet inhibiteur envers le blé, et le liseron des champs inhibe fortement la germination et la croissance du maïs.
Engrais verts et structure du sol
Les éléments colloïdaux sont des particules qui, dans un liquide donné, ne se dissolvent pas (contrairement au sucre par exemple) et restent cohérents. Ils restent en suspension et forment une solution colloïdale (comme la gélatine). Comme ils sont porteurs de charges électriques, ils se repoussent mutuellement et égalisent leur densité dans la solution. Cette solution colloïdale peut floculer, c’est-à-dire « couler au fond » sous l’action de certaines substances qui viennent perturber cet équilibre électrique.
Dans le sol sont présents deux colloïdes essentiels : l’humus et l’argile. Ils forment tous deux une solution colloïdale, donc stable, avec l’eau. Quand cette solution colloïdale d’argile et d’humus flocule, on obtient le complexe-argilo-humique.
C’est la microstructure. La macrostructure, elle, dépend essentiellement de l’activité biologique présente dans la terre, qui aère le sol, le rend poreux et perméable. Il est important que la structure permette la pénétration et la circulation de l’air dans le sol. Les sols les plus fertiles ont tendance à présenter une structure grumeleuse, car c’est dans ce type de structure que les organismes aérobies s’alimentent le plus aisément en air et en eau.
Dans le cadre d’un engrais vert qu’on détruit, la décomposition des racines est plus lente que celle des parties aérienne : elle prend le relai et assure une libération plus longue de produits transitoires.
L’époque de destruction de l’engrais vert est importante : jeune, il est plus fermentescible et libère ses produits transitoires rapidement ; plus âgé, et donc plus lignifié, il se dégradera plus lentement. Pour éviter toute perte, de la végétation doit être présente pour récupérer les nutriments ainsi libérés.
Un petit mot « contre » le travail du sol. Quand les engrais verts sont simplement coupés et laissés sur place en mulch, la décomposition des racines va pouvoir se faire progressivement en partant du haut des racines : micro-organismes, eau et oxygène pourront suivre naturellement les racines. En revanche, si la couche supérieure du sol est travaillée mécaniquement, les parties inférieures des racines vont être plus « enterrées » et risquent plus d’être placée en conditions anaérobies.
Quelques points essentiels
- Suppression des gaspillages (oxydation de l’humus par travail du sol, pertes et lessivages par sol laissé nu, engrais verts incorporés en conditions anaérobies, etc.)
- Mobilisation des réserves aux moments adéquats de croissance des cultures
- Rotation aussi continue et permanente que possible
A noter que les terrains acides mais sains s’amélioreraient d’eux-mêmes en présence de paillage organique prolongé, car la vie microbienne aérobie s’efforcerait toujours de créer un habitat qui lui est propice et notamment de ramener le pH vers la neutralité.
Le livre se conclue notamment sur des pistes pour utiliser les adventices comme engrais verts, et même d’utiliser exclusivement les plantes spontanées comme amendement. Pas à la portée de toutes les plantes (courges notamment) et certainement pas faisable de façon réaliste dans la plupart des cas, mais j’apprécie l’exploration.