Petit compte-rendu du livre Biologie du sol et agriculture durable de Christian de Carné-Carnavalet.
Le genre de pavé passionnant qui aurait mérité plus de travail d’édition. Je ne peux m’empêcher de penser qu’avec moitié moins de pages, on pourrait avoir exactement les mêmes informations en deux fois plus digeste. Cette construction imparfaite culmine quand on a littéralement les mêmes paragraphes copié-collés à deux endroits différents. A part ça, c’est captivant et j’ai beaucoup de notes à prendre ci-dessous. Le résumé (attendu) pour les paresseux : un max de matières organiques diversifiées épandues en surface de façon à faire un paillage permanent, et voilà, c’est la mise en pratique de toute cette théorie.
Bases sur les amendements organiques
Un mot historique sur le fumier : pendant une bonne partie de l’Histoire, la faux n’existant pas, les céréales étaient coupées à la faucille, à hauteur de mi-cuisse. La majorité de la paille restait donc au champ, puis était broutée par les bêtes de ferme avec les adventices pendant la jachère ; bestiaux qui donc fertilisaient en place avec leurs déjections. On comprend qu’épandre du fumier venu d’ailleurs est une opération très lourde sans moteur thermique, ce procédé a donc longtemps été réservé aux cultures plus denses et rentables, comme le maraichage.
Je recopie tels quelles de jolies phrases qui résument excellemment les bases de l’agronomie : « La dégradation des matières organiques fraiches livrées en pâtures aux organismes vivants dans les sols représente la phase fondamentale des possibilités de vie sur notre planète. C’est par l’ingestion, la digestion, les rejets anaux de la macro et mésofaune et par les enzymes digestives des bactéries que s’opère la mise à disposition des anions [ions négatifs] et cations [ions positifs] pour l’alimentation des plantes. […] La solution du sol s’enrichit donc, à mesure de la décomposition des matières organiques, en composés phénoliques, acides organiques, alcools, protéines, urée et quantité d’ions ou cations divers qui vont activer les réactions purement chimiques aboutissant à l’union des particules minérales et organiques, à la constitution d’un réservoir d’éléments chimiques au sein duquel les plantes, grâce à leurs exsudats et leurs mycorhizes, vont puiser par un savant mécanisme de dosage électrique entre anions et cations, tous les éléments constitutifs de leurs tissus fleurs et graines. »
La décomposition des matières organiques en nutriments combine plusieurs processus :
- Transformation : attaques enzymatiques et réactions chimiques qui modifient les structures moléculaires des tissus organiques.
- Assimilation : une partie de ces nouvelles molécules est incorporée dans les tissus des organismes décomposeurs. C’est la nutrition, qui immobilise plusieurs tonnes de minéraux par hectare.
- Minéralisation : les molécules organiques fraiches, sous des formes simples et solubles, sont libérées dans la solution du sol. Ce sont les oligoéléments classiques. Après cette étape, 70% de la matière organique initiale est libérée.
- Solubilisation : concerne les substances non humiques (lipides, tanins, lignines…) qui, après activité microbienne, restent sous forme de molécules non assimilables. Elles sont dégradées plus lentement par les microorganismes.
- Humification : environ 1% du carbone apporté au sol, issu principalement de la lignine et de la cellulose, subit des transformations complexes jusqu’à acquérir une forte stabilité et former une réserve organique durable (mais elles continuent à se minéraliser lentement).
Notons aussi que les minéraux peuvent être issus de l’altération de la roche-mère par les racines des plantes dans un processus à long terme.
La décomposition des engrais verts
Une fois les engrais verts couchés au sol, le travail de décomposition est effectué par la faune du sol, d’abord par les plus grosses bestioles, qui facilitent le travail des plus petites. « Tous ces animaux mangent, comme nous humains, pour que leurs flores bactériennes, au cours du tractus intestinal, favorisent les réactions oxydo-réductives libérant de l’énergie pour l’accomplissement des réactions métaboliques permettant leur maintient en vie et le développement cellulaire. » En même temps, les bactéries attaquent, avec un tas d’enzymes dissolvants. Pour les matières très ligneuses ou cellulosiques, ce sont les champignons qui font pénétrer leurs hyphes et libèrent des enzymes depuis l’intérieur.
« Les matières organiques ressortent ensuite des animaux, allégées des prélèvements dont ces derniers ont eu besoin pour leur survie. Disséquées en portions plus fines, ramollies par les diverses dissolutions enzymatiques, les matières organiques sont alors absorbées par des animaux plus petits et par les vers de terre et les nématodes qui n’ont pas les pièces buccales pour déchiqueter les feuilles. » Cette simplification de la matière par les organismes du sol se poursuit jusqu’à ce qu’elle retourne à un état moléculaire et ionique directement assimilable par les plantes.
La charge électrique globale des substances humiques est toujours négative ou nulle. Ces charges électriques négatives rendent les substances humiques très « compatibles » avec toutes sortes de substances nutritives et forment avec l’argile le complexe argilo-humique, qui agit, par ses charges et liens électriques, comme structurant du sol et réservoir à nutriment.
Les formes d’azote dans le sol
Difficile pour un agriculteur de se passer de sources extérieures d’azote (idéalement sous forme de matière organique), mais il existe pourtant de nombreuses sources naturelles d’azote, évoquées page 40. Je ne les mentionne pas car elles manquent un peu de détail.
Rappelons que l’azote industriel, c’est-à-dire l’engrais, stimule l’activité bactérienne ; mais ces bactéries n’ayant aucune matière organique fraiche à manger (celles qui amènent l’azote dans un cadre naturel), elles s’attaquent aux matières organiques stables, donc à l’humus, qui se dégrade.
- Le stock de la capacité d’échange en cations : c’est l’azote maintenu dans le sol par charges électriques, issu de la décomposition des tissus organiques. C’est la majorité de l’azote absorbé par les plantes.
- Le stock de la biomasse bactérienne : plus le sol est actif biologiquement, plus il est important. Jusqu’à 15% du poids des bactéries est fait d’azote. Elles libèrent les éléments dont elles sont constituées à leur mort.
- Le stock de la biomasse fongique : même logique que pour les bactéries. Les champignons sont constitués à 15% d’azote. Mentionnons aussi les protozoaires, et le fait que l’azote stocké ainsi sous forme d’organismes vivants est protégé du lessivage.
- Le stock des matières organiques végétales : elles stockent de l’azote sous diverses formes et le libèrent progressivement au fil de leur décomposition.
Le potentiel redox Redox signifie « réduction-oxydation » et désigne les réactions chimiques impliquant un transfert d’électrons. Le potentiel redox exprime la capacité d’un système à céder ou capter des électrons. Il est exprimé en volts.
- Réduction : un atome ou une molécule gagne des électrons.
- Oxydation : un atome ou une molécule perd des électrons.
C’est un peu intimidant, mais l’essentiel est que cette approche agronomique moderne valide tous les acquis anciens sur l’apport de matière organique (qui sert de réservoir d’électrons) et l’aération (avec modération) des sols. Par exemple, les phénomènes de sol compacté et d’excès d’humidité peuvent se traduire en termes redox, mais les problèmes restent les mêmes : « Les réactions biochimiques de la microfaune et de la microflore pour trouver leur énergie ne se font plus en soutirant l’oxygène de l’air ambiant mais par d’autres processus qui entrainent la désagrégation des cellules vivantes au niveau des racines. » Les flux d’électrons, et les charges positives et négatives des éléments, sont donc à la base de tous les phénomènes biochimiques qui se déroulent dans le sol, même si on n’y pense guère au quotidien.
Les phénomènes redox dans le sol influencent la disponibilité des formes d’azote, forçant les plantes à dépenser de l’énergie pour maintenir leur équilibre interne (homéostasie) et celui de la rhizosphère. En réponse, les plantes adoptent une stratégie d’absorption mixte des deux formes d’azote (NH₄⁺ et NO₃⁻), en proportion variable selon l’espèce et le stade de développement. Par exemple, on observe généralement une préférence pour NH₄⁺ en début de cycle (croissance végétative) et pour NO₃⁻ en fin de cycle (fructification), en lien avec leurs rôles spécifiques dans le métabolisme végétal.
Quand les plantes absorbent des molécules contenant des nitrates, elles rejettent des protons ou des ions selon la forme et la charge des molécules absorbées. Ce n’est pas qu’une extraction, c’est un échange. Le sol est en perpétuelle modification.
Notons que les racines des plantes rejettent dans le sol entre 5 et 40% de leurs productions photosynthétiques sous forme de composés carbonés et d’acides organiques pour nourrir les bactéries, les champignons et les mycorhizes qui leur sont utiles. En termes redox, il s’agit de créer des conditions favorables à l’homéostasie des plantes, des conditions qui permettent l’absorption des nutriments.
Quels mots sur les mécanismes du sol
Les sols sont la combinaison moléculaire des produits issus de la décomposition des roches et des plantes.
Le complexe argilo-humique, où argiles et humus chargés négativement sont liés par des cations chargés positivement, est un élément capital d’un sol qui se tient. Cependant, la vie bactérienne et fongique participe aussi grandement à la structure des terres : les particules sont enlacées par des quantités phénoménales de mycélium.
Le labour est en effet efficace, car il ameublit et oxygène la terre, mais s’il est pratiqué, il doit l’être accompagné d’apports réguliers de matière organique pour compenser l’oxydation (et donc la libération des nutriments) des matières organiques stables.
Sur les 30 premiers cm d’une terre normale, on a environ 40 tonnes à l’hectare d’acides humiques, alias humus. Si on compte une disparition des humus par minéralisation naturelle de 1 tonne/an/hectare, on a un sol totalement détruit au bout de 40 ans si on ne compense par les pertes de matières organiques. Cette perte est encore accélérée par le labour. Dans la nature, des matières organiques sont bien évidemment apportées par les cycles naturels.
Deux mécanismes qui permettent l’absorption des nutriments par les plantes :
- L’oxydation. L’oxydation est une perte d’électrons par un atome ou une molécule. Elle est souvent couplée à une réduction, où un autre élément gagne ces électrons (d’où les réactions redox). On connait six éléments qui sont oxydés par les microbes en formes oxydées possédant une ou plusieurs charges négatives et pouvant ainsi être absorbées par les plantes (azote en nitrate, phosphore en phosphate, etc.). Par exemple, l’ammonium (NH₄⁺) peut être oxydé en nitrate (NO₃⁻) par les bactéries nitrifiantes dans le sol.
- La chélation. La plupart des éléments connus sont insolubles à l’état d’oxyde et ne peuvent pas pénétrer tels quels dans les racines. Les microbes font le processus de chélation : attacher ces éléments sur des acides organiques solubles du fait de leur charge négative, acides organiques qui servent de véhicules aux nutriments pour les plantes. Les plantes stimulent activement la microflore chélatante avec leurs exsudats racinaires.
D’où vient l’azote du sol ?
Rappelons que les plantes sont composées en grande majorité d’eau. La matière sèche ne correspond qu’à 5 à 20% du poids des plantes. Cette matière sèche est composée à 45% de carbone extrait de l’atmosphère par photosynthèse. Le fameux azote correspond à 4% des matières sèches. L’azote entre dans le cycle des matières vivantes par 4 sources :
- Par les micro-organismes du sol capables de transformer (« fixer ») l’azote en ammonium puis en nitrate.
- Avec l’aide de végétaux symbiotiques.
- Par les éclairs pendant les orages.
- Puis par le cycle de cet azote qui se retrouve dans les végétaux et animaux, puis qui retourne au sol, etc.
Les bactéries nitrificatrices « fixent » l’azote car, contrairement à d’autres micro-organismes, elles ne tirent pas leur énergie de l’azote qu’elles ingèrent, mais des oxydations qu’elles réalisent et du carbone. Elles laissent donc disponibles dans le sol l’azote qu’elles synthétisent.
Il existe d’ailleurs d’autres bactéries « dénitrificatrices » capables d’utiliser les nitrates comme oxydants et de les réduire en azote gazeux, le retournant à l’atmosphère.